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cheveux poudrés et crêpés, relevés en arrière, et laissant à découvert le front nu et hardi. La sibylle avait noué les siens de la manière la moins embarrassante sous son déguisement, sans songer qu’elle adoptait la plus harmonieuse à la coupe et à l’expression de son visage. Consuelo la contempla longtemps avec respect et admiration : puis tout à coup, frappée de surprise, elle s’écria en lui saisissant les deux mains :

« Oh ! mon Dieu, comme vous lui ressemblez !

— Oui, je ressemble à Albert, ou plutôt Albert me ressemble prodigieusement, répondit-elle ; mais n’as-tu jamais vu un portrait de moi ? » Et, voyant que Consuelo faisait des efforts de mémoire, elle ajouta pour l’aider :

« Un portrait qui m’a ressemblé autant qu’il est permis à l’art d’approcher de la réalité, et dont aujourd’hui je ne suis plus que l’ombre ; un grand portrait de femme, jeune, fraîche, brillante, avec un corsage de brocart d’or chargé de fleurs en pierreries, un manteau de pourpre, et des cheveux noirs s’échappant de noeuds de rubis et de perles pour retomber en boucles sur les épaules : c’est le costume que je portais il y a plus de quarante ans, le lendemain de mon mariage. J’étais belle, mais je ne devais pas l’être longtemps ; j’avais déjà la mort dans l’âme.

— Le portrait dont vous parlez, dit Consuelo en pâlissant, est au château des Géants dans la chambre qu’habitait Albert… C’est celui de sa mère qu’il avait à peine connue, et qu’il adorait pourtant… et qu’il croyait voir et entendre dans ses extases. Seriez-vous donc une proche parente de la noble Wanda de Prachalitz, et par conséquent…

— Je suis Wanda de Prachalitz elle-même, répondit la sibylle en retrouvant quelque fermeté dans sa voix et dans son attitude ; je suis la mère d’Albert, et la veuve