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en secret chez lui, et qu’il tuerait quiconque essaierait de la voir, de même qu’il chasserait celui qui aurait le malheur d’en dire un mot. Cette feinte réussit. Je fus dangereusement malade dans ce pavillon durant trois jours. Marcus, enfermé avec moi, m’y soigna avec un zèle et une intelligence dignes de sa volonté. Lorsque je fus sauvée et que je pus rassembler mes idées, je me jetai dans ses bras avec terreur en songeant qu’il fallait nous séparer.

« — Ô Marcus ! m’écriai-je, pourquoi ne m’avez-vous pas laissée mourir ici, dans vos bras ! Si vous m’aimez, tuez-moi ; retourner dans ma famille est pour moi pire que la mort.

« — Madame, me répondit-il avec fermeté, vous n’y retournerez jamais, j’en ai fait le serment à Dieu et à moi-même. Vous n’appartenez plus qu’à moi. Vous ne me quitterez plus, ou vous ne sortirez d’ici qu’en passant sur mon cadavre. »

Cette terrible résolution m’épouvanta et me charma en même temps. J’étais trop troublée et trop affaiblie pour en sentir la portée. Je l’écoutai avec la soumission à la fois craintive et confiante d’un enfant. Je me laissai soigner, guérir, et peu à peu je m’habituai à l’idée de ne jamais retourner à Riesenburg, et de ne jamais démentir les apparences de ma mort. Marcus déploya pour me convaincre une éloquence exaltée. Il me dit que je ne pouvais pas vivre dans ce mariage, et que je n’avais pas le droit d’y aller subir une mort certaine. Il me jura qu’il avait les moyens de me soustraire à la vue des hommes pendant longtemps, et pendant toute ma vie à celle des personnes qui me connaissaient. Il me promit de veiller sur mon fils, et de me ménager les moyens de le voir en secret. Il me donna même des garanties certaines de ces possibilités étranges, et je