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Nous devions conquérir ces femmes par le cœur plus encore que par l’esprit. J’ai travaillé noblement, j’ose le dire, à nous les attacher, et j’y ai réussi. Mais cette face de ma vie n’est pas celle dont je veux vous entretenir. Dans vos futures entreprises, vous retrouverez ma trace, et vous continuerez ce que j’ai commencé. Je veux vous parler d’Albert, et vous raconter tout le côté de son existence que vous ne connaissez pas. Nous en avons encore le temps. Prêtez-moi encore un peu d’attention. Vous comprendrez comment j’ai enfin connu, dans cette vie terrible et bizarre que je me suis faite, des émotions tendres et des joies maternelles.


XXXIV.

« Informée minutieusement, par les soins de Marcus, de tout ce qui se passait au château des Géants, je n’eus pas plus tôt appris la résolution que l’on avait prise de faire voyager Albert, et la direction qu’il devait suivre, que je courus me mettre sur son passage. Ce fut l’époque de ces voyages dont je vous parlais tout à l’heure, et dans plusieurs desquels Marcus m’accompagna. Le gouverneur et les domestiques qu’on avait donnés à Albert ne m’avaient point connue ; je ne craignais donc point leurs regards. J’étais si impatiente de voir mon fils, que j’eus bien de la peine à m’en abstenir, en voyageant derrière lui à quelques heures de distance, et à gagner ainsi Venise, où il devait faire sa première station. Mais j’étais résolue à ne point me montrer à lui sans une espèce de solennité mystérieuse ; car mon but n’était pas seulement l’ardent instinct maternel qui me poussait dans ses bras, j’avais un dessein plus sérieux, un devoir plus maternel encore à remplir ; je voulais arracher