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« Il tressaillit, garda le silence un instant, et dit à voix basse, sans se retourner, sans chercher à voir qui lui parlait ainsi :

« — Encore la voix de ma mère !

« Consuelo, je faillis m’évanouir en entendant Albert évoquer ainsi mon souvenir, et garder dans la mémoire de son cœur l’instinct de cette divination filiale. Pourtant la crainte de troubler sa raison, déjà si exaltée, m’arrêta encore ; j’allai encore l’attendre sous le porche, et quand il passa, satisfaite de le voir, je ne m’approchai pas de lui. Mais il m’aperçut et recula avec un mouvement d’effroi.

« — Signora, me dit-il après un instant d’hésitation, pourquoi mendiez-vous aujourd’hui ? Est-ce donc une profession en effet, comme le disent les riches impitoyables ! N’avez-vous pas de famille ? Ne pouvez-vous être utile à quelqu’un, au lieu d’errer la nuit comme un spectre autour des églises ? Ce que je vous ai donné hier ne suffit-il pas pour vous mettre à l’abri aujourd’hui ? Voulez-vous donc accaparer la part qui peut revenir à vos frères ?

« — Je ne mendie pas, lui répondis-je. J’ai mis ton or dans le tronc des pauvres, excepté un sequin que je veux garder pour l’amour de toi.

« — Qui êtes-vous donc ? s’écria-t-il en me saisissant le bras ; votre voix me remue jusqu’au fond de l’âme. Il me semble que je vous connais. Montrez-moi votre visage !… Mais non ! Je ne veux pas le voir, vous me faites peur.

« — Oh ! Albert ! lui dis-je hors de moi et oubliant toute prudence, toi aussi, tu as donc peur de moi ?

« Il frémit de la tête aux pieds, et murmura encore avec une expression de terreur et de respect religieux :

« — Oui, c’est sa voix, la voix de ma mère !