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attente, dans cette terreur, dans ce découragement. Marcus, à genoux, l’oreille collée contre la poitrine de mon fils, le visage morne, épiait en vain un faible indice de la vie. Défaillante, épuisée, je n’osais plus dire un mot, ni adresser une question. J’interrogeais le front terrible de Marcus. Un moment vint où je n’osai même plus le regarder ; j’avais cru lire la sentence suprême.

« Zdenko, assis dans un coin, jouait avec Cynabre comme un enfant, et continuait à chanter ; il s’interrompait quelquefois pour nous dire que nous tourmentions Albert, qu’il fallait le laisser dormir, que lui, Zdenko, l’avait vu ainsi des semaines entières, et qu’il se réveillerait bien de lui-même. Marcus souffrait cruellement de la confiance de cet insensé ; il ne pouvait la partager ; mais moi je voulais m’obstiner à y ajouter foi, et j’étais bien inspirée. L’insensé avait la divination céleste, la certitude angélique de la vérité. Enfin, je crus saisir un imperceptible mouvement sur le front d’airain de Marcus ; il me sembla que ses sourcils contractés se détendaient. Je vis sa main trembler, pour se roidir dans un nouvel effort de courage ; puis il soupira profondément, retira son oreille de la place où le cœur de mon fils avait peut-être battu, essaya de parler, se contint, effrayé de la joie peut-être chimérique qu’il allait me donner, se pencha encore, écouta de nouveau, tressaillit, et tout à coup, se relevant et se rejetant en arrière, fléchit et retomba comme prêt à mourir. « — Plus d’espérance ? m’écriai-je en arrachant mes cheveux.

« — Wanda ! répondit Marcus d’une voix étouffée, votre fils est vivant ! »

« Et, brisé par l’effort de son attention, de son courage et de sa sollicitude, mon stoïque et tendre ami alla tomber, comme anéanti, auprès de Zdenko. »