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pour disparaître ; et aussitôt après le banquet des Invisibles, il alla présider le souper de ses illustres hôtes du palais. En voyant briller bien loin ces lumières, Consuelo, appuyée sur le bras d’Albert, se ressouvint d’Anzoleto, et s’accusa naïvement, devant son époux qui le lui reprochait, d’un instant de cruauté et d’ironie envers le compagnon chéri de son enfance.

« Oui, c’était un mouvement coupable, lui dit- elle ; mais j’étais bien malheureuse dans ce moment-là. J’étais résolue à me sacrifier au comte Albert, et les malicieux et cruels Invisibles me jetaient encore une fois dans les bras du dangereux Liverani. J’avais la mort dans l’âme. Je retrouvais avec délices celui dont il fallait se séparer avec désespoir, et Marcus voulait me distraire de ma souffrance en me faisant admirer le bel Anzoleto ! Ah ! je n’aurais jamais cru le revoir avec tant d’indifférence ! Mais je m’imaginais être condamnée à l’épreuve de chanter avec lui, et j’étais prête à le haïr de m’enlever ainsi mon dernier instant, mon dernier rêve de bonheur. À présent, ô mon ami, je pourrai le revoir sans amertume, et le traiter avec indulgence. Le bonheur rend si bon et si clément ! Puissé-je lui être utile un jour, et lui inspirer l’amour sérieux de l’art, sinon le goût de la vertu !

— Pourquoi en désespérer ? dit Albert. Attendons-le dans un jour de malheur et d’abandon. Maintenant au milieu de ses triomphes, il serait sourd aux conseils de la sagesse. Mais qu’il perde sa voix et sa beauté, nous nous emparerons peut-être de son âme.

— Chargez-vous de cette conversion, Albert.

— Non pas sans vous, ma Consuelo.

— Vous ne craignez donc pas les souvenirs du passé ?

— Non ; je suis présomptueux au point de ne rien craindre. Je suis sous la puissance du miracle.