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larmes après avoir été serrer ses enfants une dernière fois sur son cœur, ne leur dites pas que mon absence sera longue, mais sachez qu’elle peut être éternelle. Je vais subir peut-être des douleurs dont je ne me relèverais pas, à moins que Dieu ne fit un miracle en ma faveur ; priez-le pour moi, et faites prier mes enfants. »

Le bon chanoine n’essaya pas de lui arracher son secret ; mais comme son âme paisible et nonchalante n’admettait pas facilement l’idée d’un malheur sans ressources, il s’efforça de la consoler. Voyant qu’il ne réussissait pas à lui rendre l’espérance, il voulut au moins lui mettre l’esprit en repos sur le sort de ses enfants.

« Mon cher Bertoni, lui dit-il avec l’accent du cœur, et en s’efforçant de prendre un air enjoué à travers ses larmes, si tu ne reviens pas, tes enfants m’appartiennent, songes-y ! Je me charge de leur éducation. Je marierai ta fille, ce qui diminuera un peu la dot d’Angèle, et la rendra plus laborieuse. Quant aux garçons, je te préviens que j’en ferai des musiciens !

— Joseph Haydn partagera ce fardeau, reprit Consuelo en baisant les mains du chanoine, et le vieux Porpora leur donnera bien encore quelques leçons. Mes pauvres enfants sont dociles, et annoncent de l’intelligence ; leur existence matérielle ne m’inquiète pas. Ils pourront un jour gagner honnêtement leur vie. Mais mon amour et mes conseils… vous seul pouvez me remplacer auprès d’eux.

— Et je te le promets, s’écria le chanoine ; j’espère bien vivre assez longtemps pour les voir tous établis. Je ne suis pas encore trop gros, j’ai toujours la jambe ferme. Je n’ai pas plus de soixante ans, quoique autrefois cette scélérate de Brigitte voulût me vieillir pour m’engager à faire mon testament. Allons, ma fille ! cou-