Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26

Je crois que je ne serais plus de force à le supporter.

— Le café préparé par moi, répondit le docteur, est un calmant recommandable. Mais soyez tranquille, madame la comtesse : mon ordonnance ne porte rien de semblable. Aujourd’hui voulez-vous vous fier à moi et me permettre de souper avec vous ? La volonté de Son Altesse est que je ne vous quitte pas avant que vous soyez complètement rétablie, et je pense que, dans une demi-heure, la réfection aura chassé cette faiblesse entièrement.

— Si tel est le bon plaisir de Son Altesse et le vôtre, monsieur le docteur, ce sera le mien aussi d’avoir l’honneur de votre compagnie pour souper, dit Consuelo en laissant rouler son fauteuil par Matteus auprès de la table.

— Ma compagnie ne vous sera pas inutile, reprit le docteur, en commençant à démolir un superbe pâté de faisans, et à découper ces volatiles avec la dextérité d’un praticien consommé. Sans moi, vous vous laisseriez aller à la voracité insurmontable qu’on éprouve après un long jeûne, et vous pourriez vous en mal trouver. Moi qui ne crains pas un pareil inconvénient, j’aurai soin de vous compter les morceaux, tout en les mettant doubles sur mon assiette. »

La voix de ce docteur gastronome occupait Consuelo malgré elle. Mais sa surprise fut grande lorsque, détachant lestement son masque, il le posa sur la table en disant :

« Au diable cette puérilité qui m’empêche de respirer et de sentir le goût de ce que je mange ! »

Consuelo tressaillit en reconnaissant, dans ce viveur de médecin, celui qu’elle avait vu au lit de mort de son mari, le docteur Supperville, premier médecin de la margrave de Bareith. Elle l’avait aperçu de loin à Berlin