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prendre la nature ? Dépouillée par eux du Dieu vivant qui la remplit, peuvent-ils la sentir, la connaître ? Ils prennent, par exemple, la lumière pour de la matière, le son pour de la matière, quand c’est la lumière et le son…

— Ah ! s’écria Spartacus, en l’interrompant, ne croyez pas que je repousse vos intuitions sur la nature. Non, je sens qu’il n’y aura de science véritable que par la connaissance de l’unité divine et de la similitude parfaite de tous les phénomènes. Mais vous nous ouvrez tous les chemins, et je tremble en pensant que bientôt vous allez vous taire. Je voudrais que vous me fissiez faire quelques pas avancés dans une de ces routes.

— Laquelle ? demanda Rudolstadt.

— C’est l’avenir de l’humanité qui m’occupe.

— J’entends : tu voudrais que je te dise mon utopie, reprit, en souriant, le vieillard.

— C’est là ce que je suis venu te demander, dit Spartacus, c’est ton utopie ; c’est la société nouvelle que tu portes dans ton cerveau et dans tes entrailles. Nous savons que la société des Invisibles en a cherché et rêvé les bases. Tout ce travail a mûri en toi. Fais que nous en profitions. Donne-nous ta république ; nous l’essaierons, en tant qu’elle nous paraîtra réalisable, et les étincelles de ton foyer commenceront à remuer le monde.

— Enfants, vous me demandez mes rêves ? répondit le philosophe. Oui, j’essaierai de lever les coins du voile qui me dérobe si souvent à moi-même l’avenir ! Ce sera peut-être pour la dernière fois, mais je dois le tenter encore aujourd’hui ; car j’ai la foi qu’avec vous tout ne sera pas perdu dans les songes dorés de ma poésie ! »

Alors Trismégiste entra dans une sorte de transport divin ; ses yeux rayonnaient comme des astres, et sa