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Vers trois heures, Matteus entra avec la gerbe de fleurs qu’il apportait chaque jour à sa prisonnière (car au fond il l’aimait pour sa douceur et sa bonté) ; et, selon son habitude, elle délia ces fleurs afin de les arranger elle-même dans les beaux vases de la console. C’était un des plaisirs de sa captivité ; mais cette fois elle y fut peu sensible, et elle s’y livrait machinalement, comme pour tuer quelques instants de ces lentes heures qui la consumaient, lorsqu’en déliant le paquet de narcisses qui occupait le centre de la gerbe parfumée, elle fit tomber une lettre bien cachetée, mais sans adresse. En vain essaya-t-elle de se persuader qu’elle pouvait être du tribunal des Invisibles. Matteus l’eût-t-il apportée sans cela ? Malheureusement Matteus n’était déjà plus à portée de donner des explications. Il fallut le sonner. Il avait besoin de cinq minutes pour reparaître, il en mit par hasard au moins dix. Consuelo avait eu trop de courage contre le rouge-gorge pour en conserver contre le bouquet. La lettre était lue lorsque Matteus rentra, juste au moment où Consuelo arrivait à ce post-scriptum : « N’interrogez pas Matteus ; il ignore la désobéissance que je lui fais commettre. » Matteus fut simplement requis de remonter la pendule, qui était arrêtée.

La lettre du chevalier était plus passionnée, plus impétueuse que toutes les autres, elle était même impérieuse dans son délire. Nous ne la transcrirons pas. Les lettres d’amour ne portent l’émotion que dans le cœur qui inspire et partage le feu qui les a dictées. Par elles-mêmes elles se ressemblent toutes : mais chaque être épris d’amour trouve dans celle qui lui est adressée une puissance irrésistible, une nouveauté incomparable. Personne ne croit être aimé autant qu’un autre, ni de la même manière ; il croit être le plus aimé, le seul aimé qui soit au monde. Là où cet aveuglement ingénu et