Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3

aime. » Et cependant, si vous refusez de vous associer à l’œuvre des Invisibles, si les serments qu’on va sans doute exiger de vous bientôt vous effraient et vous répugnent, il me sera défendu de vous revoir jamais !… Mais je n’obéirai pas, je ne pourrai pas obéir. Non ! j’ai assez souffert, j’ai assez travaillé, j’ai assez servi la cause de l’humanité ; si vous n’êtes pas la récompense de mon labeur, j’y renonce ; je me perds en retournant au monde, à ses lois et à ses habitudes. Ma raison est troublée, vous le voyez. Oh ! ayez, ayez pitié ! Ne me dites pas que vous ne m’aimez plus. Je ne pourrais supporter ce coup, je ne voudrais pas le croire, ou, si je le croyais, il faudrait mourir. »

Consuelo lut ce billet au milieu du bruit des fusées et des bombes du feu d’artifice qui éclatait dans les airs sans qu’elle l’entendît. Tout entière à sa lecture, elle éprouvait cependant, sans en avoir conscience, la commotion électrique que causent, surtout aux organisations impressionnables, la détonation de la poudre et en général tous bruits violents. Celui-là influe particulièrement sur l’imagination, quand il n’agit pas physiquement sur un corps débile et maladif par des tressaillements douloureux. Il exalte, au contraire, l’esprit et les sens des gens braves et bien constitués. Il réveille même chez quelques femmes des instincts intrépides, des idées de combat, et comme de vagues regrets de ne pas être hommes. Enfin, s’il y a un accent bien marqué qui fait trouver une sorte de jouissance quasi musicale dans la voix du torrent qui se précipite, dans le mugissement de la vague qui se brise, dans le roulement de la foudre ; cet accent de colère, de menace, de fierté, cette voix de la force, pour ainsi dire, se retrouve dans le bondissement du canon, dans le sifflement des boulets, et dans les mille déchirements de l’air qui simulent le choc d’une bataille