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freux, et comme une complicité de parricide entre ces deux êtres : ils ont froidement tué dans leur sein l’amour qui les unissait. »

Consuelo regagna les bois aux premières lueurs du matin. Elle avait passé toute la nuit dans la tour, absorbée par mille pensées sombres et chagrines. Elle n’eut pas de peine à retrouver le chemin de sa demeure, quoiqu’elle eût fait ce chemin dans les ténèbres, et que l’empressement de sa fuite le lui eût fait paraître moins long qu’il ne le fut au retour. Elle descendit la colline et remonta le cours du ruisseau jusqu’à la grille, qu’elle franchit adroitement, en marchant sur la bande transversale qui reliait les barreaux par en bas à fleur d’eau. Elle n’était plus ni craintive ni agitée. Peu lui importait d’être aperçue, décidée qu’elle était à tout raconter naïvement à son confesseur. D’ailleurs le sentiment de sa vie passée l’occupait tellement, que les choses présentes ne lui offraient plus qu’un intérêt secondaire. C’est à peine si Liverani existait pour elle. Le cœur humain est ainsi fait : l’amour naissant a besoin de dangers et d’obstacles, l’amour éteint se ranime quand il ne dépend plus de nous de le réveiller dans le cœur d’autrui.

Cette fois les Invisibles surveillants de Consuelo semblèrent s’être endormis, et sa promenade nocturne ne parut avoir été remarquée de personne. Elle trouva une nouvelle lettre de l’inconnu dans son clavecin, aussi tendrement respectueuse que celle de la veille était hardie et passionnée. Il se plaignait qu’elle eût eu peur de lui, il lui reprochait de s’être retranchée dans ses appartements comme si elle eût douté de sa craintive vénération. Il demandait humblement qu’elle lui permît de l’apercevoir seulement dans le jardin au crépuscule ; il lui promettait de ne point lui parler, de ne pas se