Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/102

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que je voyais leurs ombres passer et repasser sur le rideau, je me mis derrière ce rideau, et j’écoutai leur conversation.

— C’est précisément ce que je voulais vous dire, cher cousin, disait la signora. Cet homme a une figure bizarre, effrayante ; il ne se doute pas de ce que c’est qu’un piano, et jamais il ne viendra à bout de l’accorder. Vous verrez ! C’est un chevalier d’industrie, n’en doutez pas. Ayons toujours l’œil sur lui, et tenez votre montre dans votre main quand il passera près de vous. Je vous jure que, pendant que je me penchais, sans me douter de rien, vers le piano, pour lui dire de le baisser, il a avancé la main pour me voler ma chaîne d’or.

— Eh ! vous raillez, ma cousine ! Il est impossible qu’un filou ait tant d’audace. Ce n’est pas du tout là ce que je veux vous dire, et vous feignez de ne pas me comprendre.

— Je feins, Hector ? Vous m’accusez de feindre ? Moi, feindre ! En vérité, dites-moi si vous valez la peine que je me donnerais pour inventer un mensonge ?

— Cette dureté est fort inutile, ma cousine. Il paraît que je vaux du moins la peine que vous cherchiez l’occasion de m’adresser des paroles mortifiantes.

— Mais, pour Dieu, de quoi parlez-vous, mon cousin ? Et pourquoi dites-vous que cet homme…

— Je dis que cet homme n’est point un accordeur de pianos, qu’il n’accorde pas votre piano, qu’il n’a jamais accordé aucun piano. Je dis qu’il ne vous quitte pas de l’œil, qu’il épie tous vos mouvements, qu’il aspire toutes vos paroles. Je dis que c’est un homme qui vous aura vue quelque part, à Naples ou à Florence, au théâtre ou à la promenade, et qui est tombé amoureux de vous.

— Et qui s’est introduit ici sous un déguisement, pour me voir et pour me séduire peut-être, l’infâme, le scélérat !