Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/112

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il me fut impossible aussi de ne pas l’estimer toujours, en dépit de ses frasques insolentes et de son ambition démesurée. Je compris vite que c’était une détestable amante et une excellente amie, et puis, il y avait une sorte de poésie dans cette énergie d’aventurière, dans ce détachement des richesses, inspiré par l’amour même des richesses ; dans cette fatuité inconcevable, couronnée toujours d’un succès plus inconcevable encore. Elle se comparait sans cesse aux sœurs de Napoléon pour se préférer à elles, et à Napoléon pour s’égaler à lui. Cela était plaisant et pas trop ridicule. Dans sa sphère, elle avait autant d’audace et de bonheur que le grand conquérant. Elle n’eut jamais pour amants que des hommes jeunes, riches, beaux, et honnêtes ; et je ne crois pas qu’un seul se soit jamais plaint d’elle après l’avoir quittée ou perdue ; car au fond elle était grande et noble. Elle savait toujours racheter mille puérilités et mille malices par un acte décisif de force et de bonté. Enfin, pour tout dire, elle était brave au moral et au physique, et les gens de ce tempérament valent toujours quelque chose, où qu’ils soient et quoi qu’ils fassent.

— Ma pauvre enfant, lui disais-je chemin faisant, tu vas être bien attrapée si Nasi te prend au mot et te laisse partir pour la France.

— Il n’y a pas de danger, disait-elle en souriant, oubliant qu’elle venait de me dire que pour rien au monde elle ne se laisserait fléchir par ses soumissions.

— Mais enfin, supposons que cela arrive, que feras-tu ? Tu n’as rien au monde, et tu n’as pas coutume de garder les dons des amants que tu quittes. C’est pour cela que je t’estime un peu, malgré tous tes crimes. Voyons, dis-moi, que vas-tu devenir ?

— J’aurai du chagrin, me répondit-elle ; oui, vraiment, Lélio, j’aurai des regrets ; car Nasi est un digne homme, un excellent cœur. Je parie que je pleurerai pendant… je ne sais pas combien de