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Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/123

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— Mais, créature épaisse et positive que tu es, tu n’entends rien au sentiment. Si je veux faire une pastorale, qui m’en empêchera ?

— Une pastorale, c’est joli en musique. En amour, ce doit être bien fade.

— Mais ce n’est ni criminel ni humiliant.

— Et pourquoi es-tu si agité ? Pourquoi es-tu triste, Lélio ?

— Tu rêves, Checchina ; je suis tranquille et joyeux comme de coutume. Laissons toutes ces paroles ; je ne te recommande pas le silence sur le peu que je t’ai dit, j’ai confiance en toi. Pour te rassurer sur ma situation d’esprit, sache seulement une chose : je suis plus fier de ma profession de comédien que jamais gentilhomme ne le fut de son marquisat. Il n’est au pouvoir de personne de m’en faire rougir. Je ne serai jamais assez fat, quoi que tu en dises, pour désirer des dévouements extraordinaires, et si un peu d’amour réchauffe mon cœur en cet instant, la joie modeste d’en inspirer un peu me suffit. Je ne nie pas les nombreuses supériorités des femmes de théâtre sur les femmes du monde. Il y a plus de beauté, de grâce, d’esprit et de feu dans les coulisses que partout ailleurs, je le sais. Il n’y a pas plus de pudeur, de désintéressement, de chasteté et de fidélité chez les grandes dames que partout ailleurs, je le sais encore. Mais la jeunesse et la beauté sont partout des idoles qui nous font plier le genou ; et quant au préjugé, c’est déjà beaucoup pour une femme élevée sous des lois tyranniques d’avoir en secret un pauvre regard et un pauvre battement de cœur pour un homme que ses préjugés même lui défendent de considérer comme un être de son espèce. Ce pauvre regard, ce pauvre palpito, ce serait bien peu pour le vaste désir d’une grande passion ; mais je te l’ai dit, cousine, je n’en suis pas là.