Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

belle et sainte comme elle, comme elle brave et inspirée ! Crois-tu que cette héroïne ait eu plus de force et de cœur que toi ? Crois-tu qu’elle ait aimé sa patrie avec plus d’ardeur ? Vois ! Dieu semble t’avoir formée exprès pour un rôle extraordinaire. Dès le premier jour où je t’ai vue, j’ai pressenti ta grandeur future, j’ai vu sur ton visage le sceau d’une mission divine. Vois ta beauté, vois ton intelligence, vois ta santé robuste qui s’accommode de tous les climats, de toutes les privations ; vois ta hardiesse si contraire à l’esprit de ton sexe ; vois jusqu’à ta force musculaire, jusqu’à cette petite main qui est de fer pour dompter un cheval et qui porterait un mousquet aussi bien que Carpaccio ?… »

Fiamma tressaillit comme si une flèche l’eût touchée. « Qu’avez-vous donc ? lui dit son cousin en voyant une vive rougeur couvrir aussitôt son visage ; chère enfant, si le brave bandit Carpaccio n’avait pas été pendu à deux pas de mon domaine d’Asolo peu d’années après votre naissance, je croirais qu’une aventure de roman vous a rendu ce souvenir terrible.

— Parlons d’autre chose, je vous prie, répondit Fiamma ; je me sens mal : vous flattez trop mon penchant à l’exaltation. Toutes ces chimères sont bonnes à forger sur le versant des Alpes, quand on n’a qu’un pas à faire pour être hors de la portée de ce monde railleur et sceptique qui paralyse toutes les idées grandes en les traitant de folles. Ici, au milieu du cloaque, on est ridicule rien que de se promener sur un cheval pour prendre l’air. Rentrons, cousin ; le froid me gagne. »

Ruggier Asolo tourna son cheval dans la direction que lui imposait Fiamma du bout de sa cravache ; mais il avait fait vibrer une corde dont il espérait tirer tous les tons de sa mélopée. Ramenant sa cousine, malgré elle, à l’idée romanesque d’une guerre de partisans, il la ramenait