Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/39

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mais pour rien au monde je n’eusse voulu la compromettre, et d’ailleurs, tant que je n’étais pas vainqueur dans cette situation délicate, mon rôle pouvait être souverainement ridicule et même méprisable aux yeux des autres serviteurs de la signora.

Heureusement, le candide Mandola, qui n’était pas dépourvu de pénétration, avait pour moi une amitié qui ne s’est jamais démentie.

Je ne serais pas étonné, quoiqu’il ne m’ait jamais donné le droit de l’affirmer, que, sous cette rude écorce, l’amour n’eût fait quelquefois tressaillir un cœur tendre lorsqu’il portait la signora dans ses bras. C’était d’ailleurs une grande imprudence à une jeune femme de livrer, comme elle l’avait fait, le secret et presque le spectacle de ses amours à deux hommes de notre âge, et il était bien impossible que nous fussions témoins, depuis deux ans, du bonheur d’autrui, sans avoir conçu, l’un et l’autre, quelque tentation importune. Quoi qu’il en soit, j’ai peine à croire que Mandola eût deviné si bien ce qui se passait en moi, si quelque chose d’analogue ne se fût passé en lui-même. Un soir qu’il me voyait absorbé, assis à la proue de la gondole et la tête cachée dans les deux mains, en attendant que la signora nous fit avertir, il me dit seulement ces mots : « Nello ! Nello ! », mais d’un ton qui me sembla renfermer tant de sens, que je levai la tête et le regardai avec une sorte d’épouvante, comme si mon sort eût été dans ses mains. Il étouffa une sorte de soupir en ajoutant le dicton populaire :

— Sara quel che sara !

— Que veux-tu dire ? m’écriai-je en me levant et en lui saisissant le bras.

— Nello ! Nello !… répéta-t-il en secouant la tête.

On vint m’avertir en ce moment de monter pour transporter la signora dans la gondole ; mais le regard expressif de Mandola me suivit sur le perron et me jeta dans une émotion singulière.