Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/44

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je courus chercher le rafraîchissement qu’elle m’avait demandé et je lui portai avec sollicitude. Néanmoins, j’espérais qu’elle me ferait une réprimande ; j’aurais voulu être chassé, car ma condition n’était plus supportable. Elle me reçut sans colère, et, me remerciant même avec douceur, elle prit le verre que je lui présentais. Je vis alors que sa main était ensanglantée, les éclats de la glace l’avaient blessée ; je ne pus retenir mes larmes. Je vis que les siennes coulaient aussi ; mais elle ne m’adressa pas la parole, et je n’osai pas rompre ce silence plein de tendres reproches et de timides ardeurs.

Je pris la résolution d’étouffer cet amour insensé et de m’éloigner de Venise. J’essayais de me persuader que la signora ne l’avait jamais partagé, et que je m’étais flatté d’un espoir insolent : mais à chaque instant son regard, le son de sa voix, l’expression de son geste, sa tristesse même, qui semblait augmenter et diminuer avec la mienne, tout me ramenait à une confiance délirante et à des rêves dangereux.

Le destin semblait travailler à nous ôter le peu de forces qui nous restait. Mandola ne revenait pas. J’étais un très médiocre rameur, malgré mon zèle et mon énergie ; je connaissais mal les lagunes, je les avais toujours parcourues avec tant de préoccupation ! Un soir j’égarai la gondole dans les paludes qui s’étendent entre le canal Saint-Georges et celui des Maranes. La marée montante immergeait encore ces vastes bancs d’algues et de sables ; mais le flot commença à se retirer avant que j’eusse pu regagner les eaux courantes : j’apercevais déjà la pointe des plantes marines qu’une douce brise balançait au milieu de l’écume. Je fis force de rames, mais en vain. Le reflux mit à sec une plaine immense, et la barque vint échouer doucement sur un lit de verdure et de coquillages. La nuit s’étendait sur le ciel et sur les eaux ; les oiseaux