Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/46

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oui, je t’aime, et il y a déjà bien longtemps. C’est parce que je t’aimais que j’ai refusé d’épouser Lanfranchi, ne pouvant me résoudre à mettre un obstacle éternel entre toi et moi. C’est parce que je t’aimais que j’ai souffert l’amour de Montalegri, craignant de succomber à ma passion pour toi et voulant la combattre ; c’est parce que je t’aime que je l’ai éloigné, ne pouvant plus supporter cet amour que je ne partageais pas ; c’est parce que je t’aime que je ne veux pas encore m’abandonner à ce que j’éprouve aujourd’hui ; car je veux te donner des preuves d’amour véritable, et je dois à ta fierté, longtemps humiliée, un autre dédommagement que de vaines caresses, un autre titre que celui d’amant.

Je ne compris rien à ce langage. Quel autre titre que celui d’amant aurais-je pu désirer, quel autre bonheur que celui de posséder une telle maîtresse ? J’avais eu de sots instants d’orgueil et d’emportement, mais c’est qu’alors j’étais malheureux, c’est que je croyais n’être pas aimé.

— Pourvu que je le sois, m’écriai-je, pourvu que vous me le disiez comme à présent dans le mystère de la nuit, et que chaque soir à l’écart, loin des curieux et des envieux, vous me donniez un baiser comme tout à l’heure, pourvu que vous soyez à moi en secret, dans le sein de Dieu, ne serai-je pas plus fier et plus heureux que le doge de Venise ! Que me faut-il de plus que de vivre près de vous et de savoir que vous m’appartenez ! Ah ! que tout le monde l’ignore ; je n’ai pas besoin de faire des jaloux pour être glorieux, et ce n’est pas l’opinion des autres qui fera l’orgueil et la joie de mon âme.

— Et pourtant, répondit Bianca, tu seras humilié d’être mon serviteur, désormais ?

— Moi ! m’écriai-je, je l’étais ce matin ; demain j’en serai fier.

— Quoi ! dit-elle, tu ne me mépriserais pas si, m’étant abandonnée à ton amour, je te laissais dans l’abjection ?