Page:Sand - Laura - Voyages et impressions.djvu/74

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― Tu ris, lui disais-je, et moi, je souffre ; mais cela t’est bien égal, tu n’aimes ni Walter ni moi : tu n’aimes que le mariage, l’idée de t’appeler madame et de porter des plumes sur ton chapeau. Est-ce que, si tu m’aimais, tu ne ferais pas un effort pour réagir contre la volonté d’un père qui n’est probablement pas sans entrailles, et qui tient moins à ses idées qu’à ton bonheur ? Si tu m’aimais, est-ce que tu n’aurais pas compris que je t’aimais aussi, moi, et que ton mariage avec un autre me briserait le cœur ? Tu pleures de quitter ta maison de campagne, et ta cousine Lisbeth, et ta gouvernante Loredana, et peut-être aussi ton jardin, ton chat et tes serins ; mais pour moi tu n’as pas une larme, et tu me demandes de t’égayer pour que tu oublies tes petites habitudes où mon souvenir n’est absolument pour rien !

Et, comme je parlais ainsi avec dépit, en retournant dans ma main crispée mon verre vide, car je n’osais regarder Laura dans la crainte de la voir irritée contre moi, je vis tout à coup sa figure se refléter dans une des facettes du cristal de Bohême.