les pays civilisés. Nous sentions plus d’estime et de sympathie pour eux que pour notre prince, et il nous semblait que les autres chefs n’avaient point à lui envier sa littérature et sa barbe d’emprunt. Nous nous trouvions ridicules de leur vouloir infuser une civilisation dont ils n’avaient aucun besoin, et qui n’avait servi au prince qu’à le dépoétiser de moitié.
Peut-être trouverez-vous que nous avions tort et que nous raisonnions trop en artistes, c’est possible. L’artiste s’éprend de la couleur locale et se soucie peu des obstacles qu’elle apporte au progrès. Je vous l’ai dit, il ne va pas au fond des idées : il s’y noierait ; il est fait d’imagination et de sentiment. Nous ne discutions pas avec le prince. C’eût été fort inutile et il ne nous en donnait pas le temps. Quand il venait nous trouver à nos répétitions, ou quand il nous emmenait dans son salon byzantin, il nous pressait comme des citrons pour exprimer à son profit notre esprit et notre gaieté. Avait-il un réel besoin de s’amuser et d’oublier avec nous sa petite fièvre d’ambition, ou s’exerçait-il avec nous à jouer le rôle d’un homme frivole, pour endormir les soupçons de certains rivaux ?