Page:Sand - Le Beau Laurence.djvu/180

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sait : c’était comme les applaudissements dérisoires d’un public en déroute, et j’étais furieux contre le chef de claque qui laissait aller notre succès à la dérive.

— Vous voyez bien, reprit Léon, que vous étiez tous rattachés à la vie par la force de l’habitude et par l’obstination de la spécialité. Il n’est donc pas étonnant que, jusqu’au moment où j’ai vu la tartane cingler sur nous et la figure de Moranbois se dresser sur le tillac, j’aie été préoccupé et soutenu par le besoin d’admirer et de décrire. Cet archipel où nous étions enfermés, ces roches dénudées et déchiquetées qui prenaient à la base tous les reflets glauques de la mer, et au sommet toutes les nuances éthérées du ciel, ces formes bizarres, repoussantes, cruelles des îlots déserts que nous ne pouvions pas atteindre, et qui semblaient nous appeler comme des instruments de supplice, avides de nous broyer et de nous déchirer sous leurs dents aiguës, tout cela était si grand et si menaçant, que je me sentais avide de me mesurer, par la poésie, avec ces choses terribles. Plus je sentais notre abandon et notre impuissance, plus j’avais soif d’écraser