Page:Sand - Le Beau Laurence.djvu/213

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je vous regarderais comme un maître, et je ne vous ouvrirais pas mon cœur comme je le fais en ce moment. Bellamare me l’avait bien dit : quand on s’est donné au théâtre, on ne se reprend plus. On ne peut, plus retrouver de place dans le monde ; on a représenté trop de beaux personnages pour accepter les bas emplois de la civilisation moderne. J’ai été Achille, Hippolyte et Tancrède par le costume et la figure, j’ai bégayé la langue des demi-dieux, je ne saurais être ni commis ni greffier. Je me croirais travesti, et je serais encore plus mauvais employé que je n’ai été mauvais comédien. Du temps de Molière, il y avait au théâtre un emploi qualifié ainsi : « Un tel représente les rois et les paysans. » l’ai souvent songé à ce contraste qui résume ma vie et continue ma fiction, car je ne suis pas plus paysan que je ne suis monarque. Je suis toujours un déclassé, imitant la vie des autres et n’ayant pas d’existence en propre.

L’amour heureux eût fait de moi un homme en même temps qu’un artiste. Une belle dame a rêvé de me transformer entièrement ; c’était trop entreprendre : elle eût peut-être créé l’homme, elle eût tué l’artiste. Impéria n’a voulu faire ni l’un ni l’autre,