Page:Sand - Le Beau Laurence.djvu/309

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celui d’un père qui jette sa fille unique dans les bras de l’époux qui va l’emmener pour jamais.

» Je vis l’avenir, la troupe bientôt désunie, l’association rompue, Bellamare seul, cherchant de nouveaux compagnons, tombant dans les mains des exploiteuses et des fripons. Je savais bien que mon influence sur lui et sur les autres, l’appui que j’avais toujours prêté aux sévères économies de Moranbois, la douceur que j’avais mise à calmer les amertumes secrètes et toujours croissantes de Léon, mes remontrances à Anna pour l’empêcher de s’envoler avec le premier venu, retenaient seuls depuis longtemps cette chaîne toujours flottante, dont je rattachais toujours patiemment les anneaux. Et j’allais quitter cet homme de bien, ce noble artiste, ce tendre père, cet ami de quinze ans, parce qu’il était moins jeune et moins beau que Laurence !

» J’eus horreur de cette pensée, je pleurai sottement, sans pouvoir le cacher à celui que mon égoïsme regrettait et que ma fermeté brisait ; mais, tout en pleurant devant lui, tout en sanglotant dans le sein de Bellamare, qui n’y comprenait rien, je renouvelai à Dieu mon serment de ne le jamais