Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/112

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M. de Balma était fou, et ses enfants essayaient d’étranges fantaisies pour flatter la sienne. On lui servait des tableaux appropriés à la disposition lugubre ou riante de son cerveau malade, car j’avais entendu rire et chanter la nuit précédente, quoiqu’on eût déjà parlé de cimetière. J’entendis des chuchotements, des pas furtifs et des frôlements de robe derrière les massifs qui m’environnaient ; puis la douce voix de Béatrice, partant de derrière le rideau, prononça ces mots : — Il est temps !…

Alors un chœur, formé de quelques voix admirables, s’éleva de divers côtés, comme si des esprits eussent habité ces buissons de cyprès, dont les tiges se balançaient sur ma tête et à mes pieds. J’arrangeai ma pose de Commandeur, car je vis bien qu’il y avait du don Juan dans cette affaire. Le chœur était de Mozart, et chantait les admirables accords harmoniques du cimetière : « Di rider finirai, pria dell’aurora. Ribaldo ! audace ! lascia ai morti la pace ! »

Involontairement je mêlai ma voix à celle des fantômes invisibles ; mais je me tus en voyant le rideau s’ouvrir en face de moi.

Il ne se leva pas comme une toile de théâtre, il se sépara en deux comme un vrai rideau qu’il était ; mais il ne m’en dévoila pas moins l’intérieur d’une jolie petite salle de spectacle, ornée de deux rangées de belles loges décorées dans le goût de Louis XIV. Trois jolis lustres pendaient de la voûte ; il n’y avait pas de rampe allumée, mais il y avait la place d’un orchestre. Le plus curieux de tout cela, c’est qu’il n’y avait pas un spectateur, pas une âme dans toute cette salle, et que je me trouvais poser la statue devant les banquettes.

— Si c’est là toute la mystification que je subis, pensai-je, elle n’est pas bien méchante. Reste à savoir combien de temps on me laissera faire mon effet dans le vide.