Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/124

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la verrez pourtant ici, vous ne la reconnaîtrez point ! C’est qu’ici rien ne nous choque et ne nous contriste : nous élargissons par la fantaisie le cadre où nous voulons nous mouvoir, et la poésie du décor est la dorure du cadre.

Oui, Monsieur, continua Boccaferri avec animation, tout en arrangeant mille détails matériels sans cesser de causer, l’invraisemblance de la mise en scène, celle des caractères, celle du dialogue, et jusqu’à celle du costume, voilà de quoi refroidir l’inspiration d’un artiste qui comprend le vrai et qui ne peut s’accommoder du faux. Il n’y a rien de bête comme un acteur qui se passionne dans une scène impossible, et qui prononce avec éloquence des discours absurdes. C’est parce qu’on fait de pareilles pièces et qu’on les monte par-dessus le marché avec une absurdité digne d’elles, qu’on n’a point d’acteurs vrais, et, je vous le disais, tous devraient l’être. Rappelez-vous la Cécilia. Elle a trop d’intelligence pour ne pas sentir le vrai ; vous l’avez vue souvent insuffisante, presque toujours trop concentrée et cachant son émotion, mais vous ne l’avez jamais vue donner à côté, ni tomber dans le faux ; et pourtant c’était une pâle actrice. Telle qu’elle était, elle ne déparait rien, et la pièce n’en allait pas plus mal. Eh bien, je dis ceci : que le théâtre soit vrai, tous les acteurs seront vrais, même les plus médiocres ou les plus timides ; que le théâtre soit vrai, tous les êtres intelligents et courageux seront de grands acteurs ; et, dans les intervalles où ceux-ci n’occuperont pas la scène, où le public se reposera de l’émotion produite par eux, les acteurs secondaires seront du moins naïfs, vraisemblables. Au lieu d’une torture qu’on subit à voir grimacer des sujets détestables, on éprouvera un certain bien-être confiant à suivre l’action dans les détails nécessaires à son développement. Le public se formera à cette école,