Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/140

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s’asseoir pour manger cibo mortale entre don Juan et Leporello, il se fit une grande gaieté, qui conserva pourtant une certaine nuance de fantastique dans les imaginations même après que j’eus posé mon masque en guise de couvercle sur un pâté de faisans.

On mangea vite et joyeusement ; puis, comme Boccaferri commençait à causer, Cécilia et Célio voulurent envoyer coucher les enfants ; mais Béatrice et Benjamin résistèrent à cet avis. Ils ouvraient de grands yeux pour prouver qu’ils n’avaient point envie de dormir, et prétendaient être aussi robustes que les grandes personnes pour veiller.— Ne les contrarie pas, dit Cécilia à Célio ; dans un quart d’heure, ils vont demander grâce.

En effet, Boccaferri que je voyais avec admiration, mettre beaucoup d’eau dans son vin, entama l’examen de la pièce que nous venions de jouer, et la belle tête blonde de Béatrice se pencha sur l’épaule de Stella, pendant que, à l’autre bout de la table, Benjamin commençait à regarder son assiette avec une fixité non équivoque. Célio, qui était fort comme un athlète, prit sa sœur dans ses bras et l’emporta comme un petit enfant ; Stella secouait son jeune frère pour l’emmener. Je pris un flambeau pour diriger leur marche dans les grandes galeries du château, et, tandis que Stella prenait ma bougie pour aller allumer celle de Benjamin, Célio me dit tout bas, en me montrant Béatrice, qu’il avait déposée sur son lit : « Elle dort comme un loir. Embrasse-la dans ces ténèbres, ta petite sœur que tu ne dois peut-être jamais embrasser une seconde fois. » Je déposai un baiser presque paternel sur le front pur de Béatrice, qui me répondit, sans me reconnaître : Bonsoir, Célio ! puis, elle ajouta, sans ouvrir les yeux et avec un malin sourire : « Tu diras à M. Salentini de ne pas faire de bruit pendant le souper, crainte de réveiller M. le marquis de Balma ! »