Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

titre et sous quel prétexte vas-tu donc me présenter ?

— Oh ! mais tu es fort amusant, répondit Célio en me faisant monter l’escalier en spirale et garni de tapis d’une grande tour. Voilà une mystification que nous pourrions prolonger longtemps ; mais tu t’y jettes de trop bonne foi, et je ne veux pas en abuser.

En parlant ainsi, il ouvrit la double porte d’une salle ronde qui servait de cabinet de travail au marquis, et il cria très-haut : — Eh ! mon cher marquis de Balma, voici Adorno Salentini qui persiste à vous prendre pour un mythe, et qui ne veut être désabusé que par vous-même.

Le marquis, sortant du paravent qui enveloppait son bureau, vint à ma rencontre en me tendant les deux mains, et j’éclatai de rire en reconnaissant ma simplicité.

« Les enfants pensaient, dit-il, que c’était un jeu de votre part ; mais, moi, je voyais bien que vous ne pouviez croire à l’identité du vieux malheureux Boccaferri de Vienne et du facétieux Leporello de cette nuit avec le marquis de Balma. Cela s’explique en quatre mots : j’ai eu des écarts de jeunesse. Au lieu de les réparer et de me ramener ainsi à la raison, mon père m’a banni et déshérité. Mes prénoms sont Pierre-Anselme Boccadiferro. Ce nom de Bouche de fer est dans ma famille le partage de tous les cadets, comme celui de Crisostomo, Bouche d’or, est celui de tous les aînés. Je pris pour tout titre mon nom de baptême en le modifiant un peu, et je vécus, comme vous savez, errant et malheureux dans toutes mes entreprises. Ce n’était ni le courage ni l’intelligence qui me manquaient pour me tirer d’affaire ; mais j’étais un homme à illusions comme tous les hommes à idées. Je ne tenais pas assez compte des obstacles. Tout s’écroulait sur moi, au moment où, plein de génie et de fierté, j’apportais la clé de voûte à mon édifice. Alors,