Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/157

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heure, que tu renonçais à Cécilia par délicatesse. J’ai failli te dire que c’était ton devoir et t’encourager à partir : je ne l’ai pas fait ; mais, quand même je l’aurais fait, je me rétracterais à cette heure. Tu te montres trop scrupuleux, ou tu ne connais pas encore Cécilia et son père. Ils n’ont pas cessé d’être artistes, je crois même qu’ils le sont plus que jamais depuis qu’ils sont devenus seigneurs. L’alliance d’un talent tel que le tien ne peut donc jamais leur sembler au-dessous de leur condition. Quant à te soupçonner coupable d’ambition et de cupidité, cela est impossible, car ils savent qu’il y a deux mois tu étais amoureux de la pauvre cantatrice à trois mille francs par saison, et que tu aspirais sérieusement à l’épouser, même sans rougir du vieux ivrogne.

— Ils le savent ! Tu l’as dit, Célio ?

— Je le leur ai dit le jour même où j’en ai reçu de toi la confidence, et ils en avaient été fort touchés.

— Mais ils avaient refusé parce que, ce jour-là même, ils recevaient la nouvelle de leur héritage ?

— Non ; même en recevant cette nouvelle ils n’avaient pas refusé. Ils avaient dit : Nous verrons ! Depuis, quoique je me sentisse ému moi-même, j’ai eu le courage de tenir la parole que je t’avais presque donnée : j’ai reparlé de toi.

— Et qu’a-t-elle dit ?

— Elle a dit : « Je suis si reconnaissante de ses bonnes intentions pour moi dans un temps où j’étais pauvre et obscure, que, si j’étais décidée à me marier, je chercherais l’occasion de le voir et de le connaître davantage. » Et puis nous avons été à Turin secrètement ces jours-ci, comme je te l’ai dit, pour les affaires de son père, et pour ramener en même temps notre Benjamin. Là, j’ai étudié avec un peu d’inquiétude l’effet que produisait sur elle la bruit de tes amours avec la duchesse. Elle a été triste