Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/94

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Il n’y a qu’une quinzaine qu’elles sont ici, et le dernier jeune homme, qui paraît avoir quinze ans tout au plus, est arrivé avant-hier au soir. Ce qui fait dire dans le village que ce n’est peut-être pas le dernier, et qu’on ne sait pas où s’arrêtera la famille de M. le marquis. Chacun dit son mot là-dessus : il faut bien rire un peu, pour se consoler de ne rien savoir.

— Le nouveau marquis a donc les mêmes habitudes de mystère que l’ancien ?

— C’est à peu près la même chose, c’est même encore pire, puisque, ce qu’il a été et ce qu’il a fait durant tant d’années qu’on ne l’a pas vu, il a sans doute intérêt à le cacher plus encore que feu M. son frère ; mais pourtant ce n’est pas le même homme. On commence à me croire, quand je dis que celui-ci vaut mieux, et on lui rendra justice plus tard. L’autre était sec de cœur comme de corps ; celui-ci est un peu brusque de manières, et n’aime pas non plus les longs discours. Il ne se fie pas au premier venu : on dirait qu’il connaît tous les tours et toutes les ruses de ceux qui quémandent ; mais il s’informe, il consulte ; sa fille aînée le fait avec lui, et les secours arrivent sans bruit à ceux qui ont vraiment besoin. M. le curé a bien remarqué cela, lui qui s’affligeait tant lorsqu’il a vu venir ce prétendu mauvais sujet : il commence à dire que les pauvres gens n’ont pas perdu au change.

— Voilà qui s’explique, madame Peirecote, et l’histoire gagne en moralité ce qu’elle perd en merveilleux. Cela se résume en un vieux proverbe de votre connaissance sans doute : « Les mauvaises têtes font les bons cœurs. »

— Vous avez bien raison, Monsieur, et c’est triste à dire, les trop bonnes têtes font souvent les cœurs mauvais. Qui ne pense qu’à soi n’est bon qu’à soi… Il n’en