Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/100

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violente, j’étais devenu meilleur avec les années, je ne pensais pas à moi ; j’étais tout à la tendresse, à la reconnaissance, au besoin de consoler et de rajeunir cette âme désolée et flétrie qui voulait bien renaître pour se donner à moi.

Je me rendis bien compte de la sainteté du sentiment que j’accueillais en moi, et toute hésitation cessa. Pourquoi me serais-je menti à moi-même, pourquoi aurais-je menti aux autres ? Je résolus d’aller dire la vérité à Félicie et à son frère.

Mais, comme j’allais vers la maison, j’aperçus que j’étais observé par Tonino, tapi sous un buisson à peu de distance du lieu où je m’étais assis. Je m’arrêtai pensif, et le souvenir de la scène que j’avais surprise au rocher de la Quille, six mois auparavant, me revint à l’esprit avec une netteté incroyable. Je revis le jeune homme portant à ses lèvres les cheveux tressés de Félicie, je revis le regard incompréhensible de Félicie, mélange de colère et d’attendrissement qui m’avait paru suspect, et dont, malgré ses explications très-plausibles, l’impression était restée en moi ineffaçable et quelque peu douloureuse.

Tonino était-il, sans le savoir, épris de sa cousine ? était-il jaloux de moi ? allais-je faire le malheur de cet enfant qui avait bien plus de droits que moi à l’affection de Félicie ? Faire le malheur de quelqu’un, moi ! Je marchai sur cette pensée comme sur un serpent, c’est-à-dire que je me rejetai en arrière, effrayé, et qu’il me fut impossible de passer outre. Je