Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/136

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gêne et vous blesse aussi, je crois que j’en serai contente. Je m’arrangerai pour qu’il ne revienne pas.

— Eh bien, m’écriai-je emporté par un mouvement irrésistible, qu’il ne revienne pas, Félicie ! qu’il ne revienne jamais !

Je n’osai pas lui dire que Tonino me paraissait plus dangereux pour elle qu’elle n’était dangereuse pour lui. Et pourtant la vérité, la délicate ou la brutale vérité de cette situation m’apparaissait dans toute son évidence. Les sens ardents du jeune homme réagissaient sur les sens inassouvis de Félicie. Un magnétisme, involontaire peut-être de part et d’autre, les avait, dès les plus jeunes années de Tonino, poussés l’un vers l’autre. Ils ne s’aimaient pas, ils ne se convenaient pas, ils étaient peut-être destinés à se haïr : je n’avais pas sujet d’être moralement ni intellectuellement jaloux ; mais cet attrait physique, cette curiosité inquiète, ce désir de l’un, cette crainte de l’autre, ce je ne sais quoi d’ému et de sensuel qui flottait entre eux me causait bien naturellement une sorte de fureur, et, chose étrange, au lieu de rougir de me l’inspirer, Félicie semblait s’en réjouir comme d’un hommage que je lui rendais ! Elle accepta avec une joie vulgaire l’arrêt que je venais de porter en tremblant.

— C’est cela, dit-elle, c’est le mieux ! qu’il ne vienne plus nous troubler ! Je vais lui faire une belle dot et lui dire que je quitte le pays avec vous. Nous voyagerons un peu, si vous voulez, et, quand nous