Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/138

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Ma passion ! elle était indéfinissable ; elle me brûlait, et tout à coup elle me laissait si froid, qu’elle semblait évanouie. Auprès de Félicie, je subissais ce vertige que l’amour d’une femme intelligente et belle fait naître en l’éprouvant. Dès que je me retrouvais seul, il me semblait avoir rêvé, et ce qui me choquait dans cette étrange nature m’apparaissait comme la seule chose réelle de mon émotion.

Des jours et des semaines passèrent sur ce déchirement intérieur et le dissipèrent. Je ne savais plus rien de Tonino, sinon qu’il n’espérait plus fléchir son père, et qu’il obéissait à Félicie en restant près de lui. Il écrivait beaucoup, j’avais refusé de voir ses lettres ; je n’aimais pas à parler de lui. Je voulais laisser à Félicie tout le soin, toute la responsabilité, je n’osais dire tout le mérite de cette exécution…

Elle ne parut pas lui être pénible, tout au contraire. Si une lueur de gaieté lui revenait au milieu de la tristesse où la perte de son frère la tint longtemps plongée, c’était les jours où elle me disait :

— L’enfant commence à s’habituer là-bas. Il me dépense un peu d’argent, et je crois bien qu’il ne s’occupe guère ; mais, lorsque son parti sera pris, j’aviserai à lui procurer un état. Il était trop gâté ici par mon frère. Il faut qu’il apprenne à faire comme les autres.

Je ne répondais rien, Félicie souriait comme à la dérobée. Il y avait une joie craintive dans ce mystérieux sourire. Elle était heureuse de me sentir jaloux ;