semblait plus permis d’y songer. Navré et humilié, et par-dessus le marché volontairement dépourvu de toutes ressources, il me fallait d’abord penser à gagner ma vie, ce qui ne semblait pas la chose du monde la plus facile au sortir de l’opulence, résolu que j’étais à n’invoquer l’aide d’aucun ami, que dis-je ? résolu à m’effacer de la scène du monde et à vivre inconnu, comme un homme qui aurait commis un crime et qui serait forcé de cacher son passé.
Mon intention était d’aller en Italie pour y essayer un professorat quelconque. Je m’arrêtai en Suisse, à la frontière. Je n’avais pas encore la science de l’économie, j’étais au bout de mes soixante-trois francs. J’avais un peu de linge dans mon havre-sac : j’ai toujours aimé la propreté, je ne pus me décider à le vendre. Je passai la nuit à l’auberge du Simplon, où je ne dormis guère ; je me tourmentais du lendemain. J’avais tout juste de quoi payer mon écot ; mais après ?
Je ne m’inquiétais pourtant pas outre mesure. Les choses matérielles de la vie m’ont toujours été favorables en ce sens que mes besoins n’ont jamais dépassé mes ressources. Je n’ai donc jamais éprouvé de désastres irréparables que dans la sphère des sentiments. J’aurais volontiers changé de destinée, mais cela n’a pas dépendu de moi. Aussi mon insomnie n’avait rien de désespéré. Je faisais des projets, je cherchais des moyens de vivre, et j’étais si charmé de la beauté du pays que je venais de parcourir,