Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/259

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même ; une vapeur brûlante t’enveloppait comme un nuage à travers lequel Sylvestre ne pouvait pas te discerner clairement, comme moi qui m’y tenais plongé à toute heure. Sois sûre que, si cet homme sage et pur t’eût devinée, il ne se serait pas attaché à toi : il eût été ton amant peut-être, jamais ton mari ; mais il s’est trompé. Les gens qui n’ont pas de vices ne voient guère ceux des autres. Je dis des vices, puisqu’on appelle comme ça les passions ! tu sais qu’au fond je m’en moque, je ne me pique pas de vertu, moi ; je suis ce que Dieu m’a fait. Que l’on me traite de brute et de sauvage, ça ne m’offense pas. C’était un homme de ma trempe, un athée comme moi en fait de morale qu’il te fallait rencontrer et accepter pour connaître l’amour et la vie. — Donc, nous pouvions être heureux l’un par l’autre, sans rien ôter au bonheur de ton mari et de ma femme. Ni l’un ni l’autre ne nous connaît, c’est tant pis pour eux ! ils n’auront de nous que l’amitié et la déférence ; mais, puisque, après tout, ils ne nous demandent pas autre chose et ne comprendraient point nos transports, disons que c’est tant mieux pour nous quatre, et conviens que j’ai eu raison de vaincre tes scrupules. Tu essayes de gâter par tes caprices une existence que j’ai faite raisonnable et douce pour nos ménages, brûlante et délicieuse pour nous seuls. Je te supplie de te calmer et de reprendre confiance en moi… Laisse-moi, ajouta-t-il, gouverner ta vie, tes affaires, ton avenir, ton mari lui-même,