Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/272

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le devoir, un devoir aride, effrayant et sans aucune compensation tangible.

Ce devoir, quand ma conscience l’eut élucidé, n’était ni de châtier ni d’absoudre. Comme il est impossible d’apprécier la dose de résistance intellectuelle et morale qu’une conscience humaine plus ou moins éclairée peut opposer à la violence brutale de l’instinct, il est impossible au philosophe et au physiologiste de prononcer avec certitude une condamnation quelconque en matière criminelle. Le législateur l’a reconnu en séparant le juge du bourreau d’une manière radicale. Le jury vote sur l’existence ou la non-existence de l’acte qui emporte telle ou telle peine. Le magistrat ne juge rien ; il applique un texte de loi : tout repose sur un calcul de probabilités plus ou moins réussi.

On serait embarrassé pour soi-même de décider pourquoi l’on fut lâche ou brave un tel jour. L’examen de conscience d’une âme vraiment délicate est parfois un travail sérieux et qui nous laisse quelques doutes. Comment donc faire ce travail pour un autre, eussiez-vous toute sa confiance, et fussiez-vous assuré de sa sincérité ?

Je ne pouvais donc pas châtier ce que mon cœur et ma raison condamnaient pourtant sévèrement. Le crime seul tombait sous la coulpe de mon blâme, le droit de punir les coupables m’échappait. Je ne pouvais pas davantage absoudre. Les mêmes raisons s’y opposaient. Je savais avoir affaire à deux êtres très-intelligents sous plus d’un rapport, et à qui les bons