Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/278

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tout entières. L’Indien est beau, brave, intelligent. L’héroïsme se traduit chez lui en cruauté, la sobriété stoïque aboutit à l’intempérance. Il a l’hospitalité antique, et vous n’êtes pas en sûreté chez lui, car il a l’imagination déréglée, et, pour un rêve qu’il a fait la nuit, il assassine l’hôte qu’il chérissait la veille.

J’étais forcé de comparer Félicie à ces natures généreuses mais incultes, qui offrent l’effrayant accord des dons sublimes et des perversités farouches. Nous n’avons qu’un criterium pour juger les autres et nous-mêmes. Plus l’être est développé en intelligence et favorisé de la nature, moins ses fautes nous paraissent pardonnables, et il ne nous semble pas que Dieu, dont la conception ne se déduit pour nous que de l’examen et du sentiment de notre propre justice, puisse avoir une autre justice que nous.

Mais n’est-ce pas là une erreur fatale et qui fait injure à la divine mansuétude de celui qui ne punit pas ? Punir ! je crois vous l’avoir dit déjà plus d’une fois, c’est la plus amère douleur d’une âme généreuse. L’homme qui se plaît à rendre le mal pour le mal, qui trouve sa volupté dans les supplices qu’il inflige ou voit infliger, l’inquisiteur qui sourit au bûcher, le juge qui triomphe en arrachant une condamnation à mort, Dieu les renie sans doute cent fois plus que leurs victimes, fussent-elles cent fois coupables. Comment admettre Dieu insensible à la douleur, si on l’investit des devoirs du juge ? Et pourtant le souverain bien ne peut pas souffrir ! Donc, nous avons