Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/336

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recopiai pour la conserver, et j’envoyai l’original, comme lettre de faire part, à celui dont l’amour avait tué Félicie.

Je me demandais cependant avec effroi si je n’étais pas, autant que lui, le meurtrier de cette infortunée. Par le fait, hélas ! oui ! Si j’avais pu lui rendre mon amour, elle eût pu vivre. Je ne croyais plus au sien ; il était mêlé, depuis une année, de trop de colère et de ressentiment. L’orgueil blessé avait amené la haine et le désespoir. Si j’avais su feindre, je l’aurais sauvée ; mais il est des natures qui ne peuvent pas mentir et qui l’essayeraient en vain. Pouvais-je me reprocher de n’être pas un hypocrite ? Et même, au delà de la mort, pouvais-je faire grâce à cette femme qui n’avait pas voulu accepter la conséquence inévitable de son égarement, et qui semblait chercher à me punir de sa faute en m’infligeant un éternel remords ?

Je fis grâce pourtant. Je sentis dans ce suicide le côté mal éclairé, mais réel, d’une grandeur native. Félicie avait aspiré à l’idéal sans le bien connaître. Elle avait eu soif d’honneur, elle avait cru qu’on peut le perdre et le retrouver, puisque, déjà déchue, elle avait gagné mon respect et reçu ma foi. Elle n’avait pas été libre de réfléchir, au jour de la seconde chute, et, après cette chute, elle avait été moins libre encore de comprendre sa situation et la mienne. La lumière de l’âme ne traverse pas impunément certaines ténèbres. La conscience s’oblitère, le flambeau intérieur pâlit de plus en plus. Dans ce demi-jour de sa raison