serait trop fier de m’avoir vaincue, et il irait tout de suite dans ses projets au delà de ce que nous possédons l’un et l’autre. Mettez-vous à la tête de son entreprise, puisqu’il le désire ; seulement, employez votre sagesse et votre habileté à faire durer cela longtemps, dix ans, quinze ans, si c’est possible… Quand nous n’aurons plus rien, il faudra bien s’arrêter ; mais il aura vécu dix ou quinze ans heureux, et cela vaut bien la peine que je me sacrifie.
J’admirai le dévouement de mademoiselle Morgeron ; mais je crus devoir la rassurer sur les suites du chagrin de son frère. Il ne me paraissait pas possible qu’il prît la chose à cœur au point d’en mourir.
— Sachez, reprit-elle, que je crains quelque chose de pis. Il peut en devenir fou ; vous ne savez pas comme il est exalté. Il n’ose pas vous le laisser voir, mais il ne dort pas depuis huit nuits, il se promène dans sa chambre ou dans la campagne, il parle tout seul, il a la fièvre. Je ne veux pas de cela, vous dis-je. Quand, avec de l’argent, on peut empêcher un grand malheur et sauver la personne qu’on aime le mieux au monde, je ne comprends pas qu’on hésite.
— Vous êtes un grand cœur, lui dis-je en lui tendant la main et en serrant la sienne avec émotion. Ce que vous pensez là est bien et me réconcilie tout à fait avec vous.
— Vous m’avez crue intéressée, n’est-ce pas ? reprit-elle d’un ton d’indifférence.