Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/65

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montrait d’ordinaire sérieuse et froide avec moi comme avec lui. J’avais beau savoir le secret de sa vie, la cause de ce pli au front, de ce regard sec, de cet amer sourire, elle m’étonnait toujours comme un problème dont je ne saisissais pas la solution. Tout n’était-il pas anormal dans sa destinée ? Cette fille de race artiste et de sang noble mêlé au sang rustique, née et élevée dans un milieu contraire à ses instincts, brisée encore enfant par la honte, la misère et la douleur, puis retransplantée dans la vie des champs et redevenue une paysanne active et parcimonieuse avec des sentiments de générosité chevaleresque et une organisation délicate, tout cela ne se tenait pas et formait un ensemble indéchiffrable pour moi, pour elle-même probablement. Ceux qui l’entouraient, pauvres serviteurs, ne s’inquiétaient pas beaucoup de l’énigme. L’habitude la leur faisait accepter comme une force dont ils ne cherchaient pas la cause et le but. Les gens simples ne remontent guère à la source des faits. Jean, malgré son esprit actif et ingénieux, était un vrai paysan ; Tonino eût pu mieux analyser, mais il se contentait d’aimer.

Quant à moi, qui n’éprouvais aucun entraînement particulier vers cette nature déclassée et inclassable, je l’examinais lorsque je n’avais rien de mieux à faire, et je sentais en elle un imprévu tour à tour rassurant ou menaçant. Quand elle avait un éclair de gaieté, une heure d’abandon, on pouvait être sûr qu’elle serait d’autant plus sombre ou réservée l’instant d’a-