Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/67

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rien, et, si par hasard il le lui demandait, elle lui répondait : « Il n’y a que les sots et les paresseux qui ont le pourquoi à la bouche. » Comme Tonino l’avait fort peu dans l’esprit, il se contentait de cette réponse.

Il y avait pourtant deux choses qu’elle savait bien, c’était l’italien et la musique. Elle parlait facilement et incorrectement le français et l’allemand ; mais la langue de son grand-père était restée pure et pleine d’élégance dans sa mémoire ; c’est dans cette langue que j’aimais à l’entendre. Quant à la musique, elle l’enseignait admirablement à Tonino et à moi ; car, malgré mes cinquante ans, j’aimais encore à apprendre, et toute ma vie j’avais regretté de n’être qu’un amateur et de ne pas avoir le temps ou l’occasion de connaître la mathématique sérieuse de cet art divin.

Tonino jouait agréablement du violon, et il n’avait pas eu d’autre professeur que sa cousine. J’étais curieux de savoir si elle le lui avait enseigné par pure théorie ou si elle connaissait l’instrument ; mais je savais bien que, si je le lui demandais, elle me répondrait brusquement qu’elle ne savait rien du tout. Un jour que Tonino essayait un motif de Weber et le dénaturait avec la facilité italienne, elle s’impatienta, prit le violon, et, avec une grâce indicible, elle joua comme un maître. Je ne pus me défendre de l’applaudir. Elle jeta l’instrument avec humeur en haussant les épaules ; mais Tonino avait été chercher un autre violon qu’il lui présenta d’un air suppliant.