Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/69

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Vous me demanderez pourquoi je me faisais ces questions : en toute sincérité, je puis vous affirmer que j’y prenais un intérêt purement philosophique. Je ne pouvais, d’ailleurs, m’en préoccuper bien assidûment ; j’avais trop de travail sur les bras, trop de calculs matériels dans l’esprit pour philosopher ou pour rêver longtemps. J’eus plus de loisir quand la mauvaise saison interrompit nos travaux. Je dus me borner à faire de continuelles observations sur la force des crues, sur les caprices du courant et sur les dévastations que la Brame, c’était le nom de notre torrent, produisait encore en pure perte pour nous dans le terrain de la Quille. Je n’en étais pas aussi dépité que Jean ; je songeais à la possibilité de faire sauter d’autres rochers, afin de mettre à découvert l’abîme de boue fertilisable que le torrent nous tenait en réserve dans ses gouffres.

Comme en somme tout allait bien, et que, vers le mois de janvier, notre digue, légèrement entamée, promettait de tenir bon, notre vie était tranquille et même gaie. Jean, qui ne pouvait tenir en place, allait et venait pour ses affaires, de Sion à Martigny et de Brieg à la Diablerette. Nous le voyions souvent quand même, et il passait des semaines avec nous. Félicie m’en remerciait ; car, les hivers précédents, on l’avait vu à peine. Nos soirées étaient longues et enjouées ; jamais Jean n’avait été de si bonne humeur. Il était naturellement et franchement gai, lui, quand il n’avait pas trop de soucis dans la cervelle. Cette fois, il