Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/83

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vos parents. Eh bien, si la charité était en vous, vous plaindriez les autres de n’en point avoir, et, dès qu’on plaint, on pardonne. Vous ne pardonnez pas ; donc, la charité manque sur ce coin de terre que vous habitez, comme elle manque, hélas ! dans le reste du monde, et vous ne voulez pas l’y faire entrer, même dans votre maison, dans votre croyance, dans votre âme ; vous la victime d’un mal dont vous devriez apprécier l’énormité, vous ne songez pas aux nombreuses victimes de ce mal ; n’y eût-il qu’elles à plaindre et à aimer, ce serait de quoi attendrir et remplir votre cœur. Eh bien, sachez que ceux qui frappent sont encore plus malheureux que ceux que l’on brise. Ils n’ont pas la joie de se sentir innocents. Quand on épouse le mal, on ne dort plus. L’humanité est donc un chaos d’erreurs et un abîme de souffrances. Heureux ceux-là seuls qui sentent la pitié dans leurs entrailles, car c’est d’eux qu’on peut dire que, dès ce monde, ils seront consolés. « Comment ? » me direz-vous. Je vous réponds tout de suite : en ne haïssant pas.

— Voilà tout ? s’écria Félicie étonnée. Ne pas haïr, c’est de l’indifférence !

— Non, non ! repris-je, l’indifférence n’existe pas et ne peut pas exister. L’indifférence, c’est le néant de l’âme et le vide de l’esprit. Vos pauvres crétins de la montagne sont indifférents, aussi ne sont-ils plus des hommes. Quand on est homme, quand on a souffert et qu’on ne hait pas, c’est qu’on aime sa race d’un amour immense.