Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/202

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JACQUES. — Attendez, ma pénitente ! Avez-vous soif de charmer ou d’éblouir ? Plaire est un mot vague. Il est beau de vouloir plaire à ce qu’on aime. C’est une jouissance du cœur ; mais vouloir l’étonner, l’étourdir, le dominer, c’est préméditer sa servitude. N’est-ce pas ainsi que vous prétendez être aimée de Gérard ? Telle que je vous vois et tel que je le connais, je crains fort que vous ne soyez pas occupée de le charmer pour le rendre heureux, mais de le fasciner pour le rendre esclave.

DIANE. — C’est discutable, cela. Il y a des gens qui ne sont heureux que dans la dépendance, et à qui l’on rend un vrai service en leur enlevant leur libre arbitre.

JACQUES. — Je ne suis pas de cet avis. C’est une maxime de tyran, et je vois que vous l’êtes. Je plains vos sujets, mais je vous plains encore davantage.

DIANE. — Vraiment ! Pourquoi ?

JACQUES. — L’esclave volontaire (et vous n’avez que de ceux-là, parce que les lois qui nous régissent aujourd’hui ne vous permettent pas d’en avoir d’autres), l’esclave volontaire est misérable et avili ; mais en amour, il se console et se relève par la conscience de son dévouement. Par là, il est vraiment plus grand devant Dieu que celui qui l’opprime. Le tyran volontaire est le plus infortuné des êtres ; il est seul ; rien ne lui sert d’être aimé ; il n’aime pas. Il ne croit à rien, il n’estime personne. Il aspire à s’adorer lui-même, mais il se fait peur, comme l’homme qui voit son propre spectre.

DIANE. — C’est effrayant, ce que vous me dites-là ! Vous me montrez, dans l’isolement de mon cœur, le châtiment de mon despotisme ! Mais je ne vois pas en quoi ce châtiment est mérité, puisque le despotisme me parait de droit divin.

JACQUES. — Ah ! madame ! je vous disais bien que nous causerions inutilement, et je regrette le temps que je vous fais perdre. Il faudrait vous reprendre et vous changer depuis A jusqu’à Z, pour vous amener à me comprendre. Oui, je vous le disais, je ne puis convaincre une personne catholique et légitimiste !