Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/327

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vons nous préserver de rien ; nous n’existons que par leur volonté, et ils sont nos maîtres.

ISABELLE. — Ils ont des maîtres, eux aussi ! Ils doivent avoir des esprits supérieurs qui les créent, qui les animent, qui leur infusent la pensée, comme ils font à notre égard !

COLOMBINE. — Vous croyez ?… Alors ces esprits les font mouvoir, parler, vivre et mourir, absolument comme ils nous font jouer la comédie.

LE DOCTEUR. — Tout porte à le croire.

LE MISANTHROPE. — Mais ils sont bien ignorants, et l’homme est un méchant maître qui ne nous fait dire que des choses frivoles. Il nous fait à sa ressemblance ; nous sommes sa propre image, et il craint de nous initier aux secrets de sa véritable existence.

ISABELLE. — La nôtre est meilleure. Nous sommes plus petits, mais plus solides. Nous n’avons pas de corps, mais seulement une tête pour parler et des mains pour gesticuler.

LE DOCTEUR. — Dont nous le pouvous rien faire sans leur aide ! C’est là un grand inconvénient de notre existence, et il faudrait trouver le moyen d’y remédier.

LE MISANTHROPE. — Cherchez-le donc ! Mais faites vite, car vous n’avez pas longtemps à vivre.

LE DOCTEUR. — Moi ! je peux vivre mille ans de plus, à l’état d’homme de bois !

LE MISANTHROPE. — Oui, si les hommes de chair ont soin de vous comme à présent. Un de ces matins, il peut leur passer par la tête de nous jeter tous au feu.

COLOMBINE. — Leur existence n’est peut-être pas mieux assurée !

LE MISANTHROPE. — Raison de plus de trembler pour la nôtre ! Et puis, vous oubliez que quand la dose d’électricité que leur main nous communique est épuisée, nous retombons dans le néant jusqu’à ce qu’il leur plaise de nous en tirer par une pièce nouvelle.

COLOMBINE. — L’électricité ? qu’est-ce que cela ?

ISABELLE. — Je n’en sais rien, ma chère. Mais je me sens toute refroidie, et je crois que je vais dormir.