Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/34

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DIANE. — Non, mais on a tort de le trop montrer : les hommes en abusent !

JENNY. — Oh ! Gustave est un honnête homme ; il n’a pas cherché à me séduire !

DIANE. — Je le sais, je sais que tu es parfaitement pure ; mais tu es malheureuse ; il t’a délaissée, et tu le regrettes, tu l’aimes encore ?… Donne-moi ma robe de chambre et mes pantoufles, j’ai froid maintenant.

JENNY. — Mettez-vous donc auprès de la cheminée, je vais faire flamber des pommes de pin. Si vous buviez un peu de thé bien chaud ?

DIANE. — Ce sera trop long à attendre.

JENNY. — Mais non, il est là, tout prêt.

DIANE. — Bonne fille, tu penses à tout ! Veux-tu en prendre avec moi ?

JENNY. — Oh ! non, merci ! Je ne dors déjà pas trop !

DIANE. — Tu penses toujours à lui ?

JENNY. — À lui et à vous. Vous êtes les deux seules personnes qui m’ayez fait du bien.

DIANE. — Ah ! par exemple, je ne m’attendais pas à ce rapprochement. Il t’avait compromise, ruinée, abandonnée, et je croyais t’avoir sauvée de la misère et du désespoir.

JENNY. — Il m’a compromise dans le magasin et dans le quartier, c’est vrai ; et vous, sachant mon histoire malheureuse, vous m’avez prise à votre service, seulement parce que ma figure vous plaisait, quand vous veniez à mon comptoir acheter des manchettes et des petits bonnets de tulle. C’est bien bon de votre part ; mais lui, il ne pensait pas au tort qu’il pouvait me faire ; et d’ailleurs je suis compromise de mon plein gré, et sans y faire attention ; il m’a emprunté mes petites épargnes, et il n’a pas pu me les rendre, c’est encore vrai ; et vous, vous me donnez de beaux gages que je ne vous demandais pas. Je vous en suis bien reconnaissante, allez ! mais lui, quand il a accepté mon argent, c’est que je l’ai tant prié ! et il croyait si bien me donner le travail de toute sa vie en m’épousant !… Il m’a aban-