Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/37

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JENNY. — Pourquoi donc ? Allons, voilà que vous devenez sérieuse ?

DIANE. — Est-ce qu’il était content de s’appeler Baluchon ?

JENNY. — Il n’en était ni fier, ni vexé : ça lui était bien égal.

DIANE. — Eh bien, il avait plus d’esprit que le comte Gérard, qui est si fier et si content de s’appeler comme il s’appelle ! Et à cause de cela, j’aimerais mieux m’appeler madame Baluchon que la marquise de Mireville.

JENNY. — Oh ! ne dites pas cela ! vous ne voudriez pas vous appeler madame Baluchon ! c’était bon pour moi ; mais vous, qui avez déjà un nom noble, il vous en faut un plus noble encore. Je sais vos idées : vous dites qu’il faut toujours monter, jamais descendre.

DIANE. — C’est vrai ; mais on descend parfois en croyant monter, et j’ai peur que cela ne m’arrive. Je suis comtesse, et je me suis imaginé qu’il était plus beau d’être marquise. Eh bien, c’est une niaiserie. Il faudrait cesser d’être comtesse et porter un nom roturier, mais illustré par une gloire personnelle. Ce serait plus de mon siècle, ce serait de meilleur goût. Comprends-tu cela, toi ?

JENNY. — Je vois que vous aimez les noms et pas les personnes ; à moins que… Est-ce que vous donneriez dans ces jeunes artistes qui sont vos voisins ?

DIANE. — Moi ? fi donc ! je ne les connais pas ; et d’ailleurs, des artistes qui commencent ! des gens d’esprit, dit-on, mais inconnus encore…

JENNY. — S’ils ont du talent ?

DIANE. — Le talent ; c’est joli, mais c’est de la célébrité que je voudrais… si je voulais quelque chose !… Mais le pire de l’affaire, c’est que je ne veux rien, que je ne désire rien dont je ne me dégoûte aussitôt ! C’est que je suis un peu blasée… Connais-tu ce mot-là ? c’est que je m’ennuie, pour tout dire.

JENNY. — Oh ! je le sais bien que vous vous ennuyez ! ça se voit bien dans tout ce que vous faites. Vous avez envie de tout, et puis de rien…

DIANE. — Enfin j’ai des caprices, n’est-ce pas ?