Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/87

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PIERRE. — Oh ! je ne menace personne.

MAURICE. — Vous craignez tout le monde, c’est la même chose. La crainte, c’est la méfiance ; la méfiance, c’est la haine ; et la haine, c’est la menace ! Tenez, les hommes sont fous, maître Pierre. Avec un peu de franchise de part et d’autre, ils auraient pu n’en pas venir où nous en sommes. Mais, bonsoir, le soleil baisse trop, et il n’y a plus moyen de dessiner.

PIERRE. — Vous dessiniez donc ?

EUGÈNE. — Vous ne vous en aperceviez pas ?

PIERRE. — C’est donc ce vieux mauvais arbre à qui que vous faites le portrait ?

EUGÈNE. — Est-il à vous ?

PIERRE. — Non, mais j’en ai bien d’aussi vieux et d’aussi vilains. À quoi que ça peut vous servir de mettre des choses comme ça sur le papier ?

EUGÈNE. — Ah ! voilà ! Nous vendons ça comme vous vendez du blé.

PIERRE. — C’est-il Dieu possible, qu’on achète ça ?

EUGÈNE. — Oui, et plus cher que du blé.

PIERRE. — C’est donc que le gouvernement veut avoir l’image de tout ce qu’il y a dans le pays, mêmement les vieux cossons ?

EUGÈNE. — Non, le gouvernement ne sait rien du tout de ce qu’il y a dans le pays ; il ne sait ni comment sont faits les arbres, ni comment pensent les hommes.

PIERRE. — Alors à quoi ça sert, vos images ?

DAMIEN. — Vous avez bien des images chez vous ? Vous en avez deux qui sont gravées par moi.

PIERRE. — Ah ! c’est des militaires !

DAMIEN. — Eh bien, pour savoir faire un militaire, il faut regarder et imiter un militaire, comme pour savoir faire un arbre, il faut regarder et imiter un arbre.

PIERRE. — Tiens, tiens ! J’aurais cherché bien loin avant de penser à ça ! C’est vrai qu’il y a des images où on voit des arbres ! Voyez ce que c’est ! Si je ne vous avais pas connus, j’aurais jugé que vous étiez dérangés d’esprit, de