Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/125

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tés qui semblaient si plaisantes ; il ne demande plus si l’on peut sortir dans les rues, le soir, à Paris, sans danger des brigands, et si les femmes se promènent toutes nues aux Champs-Élysées. Il ne baise plus votre gant avant de vous le présenter, mais aussi il ne le ramasse plus. Il ne méprise plus certaines femmes, il les méprise toutes, et quant aux voleurs, il ne les craint guère. Il n’a pas le sou et ne va à Paris que pour jouer à la bourse ou emprunter aux juifs !

Tu vois, chère Camille, par cet échantillon de nos causeries, que la marquise voit en noir le temps présent, et tu peux aussi te faire une idée de cette vie de partage que tu me dis ne pas concevoir. À propos de tout, elle a une critique motivée toute prête, parfois gaie et bienveillante, parfois chagrine et acerbe. Elle a trop parlé dans sa vie pour être heureuse. Penser à deux, à trois ou à trente continuellement, et sans jamais se recueillir, est, je crois, un grand abus. On ne s’interroge plus soi-même, on affirme toujours, sans quoi, la discussion finissant, la conversation tomberait. Obligée à cet exercice, j’y succomberais au doute ou au dégoût de mes semblables, si je n’avais la grasse matinée pour me ravoir et me retrouver. Bien que madame de Villemer, par son esprit et sa bonté, jette autant de charme que possible sur ce stérile emploi du temps, il me tarde que le marquis arrive et vienne prendre un peu sa part de cette flânerie oratoire…

Le marquis arriva en effet au bout d’une huitaine,