Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/138

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mais, en réalité, Caroline pouvait ouvrir les yeux sans autre douleur qu’un profond étonnement et une dédaigneuse pitié. Le duc espérait chaque matin voir naître le dépit ou l’impatience. Il ne pouvait constater qu’un peu de tristesse dont il s’attribuait naïvement la cause et qui le réjouissait doucettement, mais qui ne le satisfaisait pas. Je l’aurais crue plus vive, pensait-il ; il y a dans son chagrin un peu d’inertie et plus de douceur que de chaleur.

Peu à peu cette douceur le charma. Il n’avait jamais rien vu de pareil à cette résignation supposée. Il y voyait une modestie intérieure, un découragement de plaire, une soumission tendre qui l’émurent. Elle est bonne avant tout, se dit-il encore, bonne comme un ange. On serait bien heureux avec cette femme-là, elle serait si reconnaissante et si peu querelleuse ! Vraiment elle ne sait ce que c’est que de faire souffrir, elle garde tout pour elle-même.

À force de guetter sa proie, le duc se sentit fasciné, et l’attendrissement le gagna. Il fut forcé de reconnaître qu’il se troublait auprès d’elle et que sa propre cruauté le gênait beaucoup. Au bout d’un mois, il commençait à perdre patience et à se dire qu’il fallait hâter le dénoûment ; mais cela lui apparut tout à coup extrêmement difficile. Caroline avait encore trop de vertu pour lui permettre de manquer à sa parole, car en brusquant tout, il pouvait tout perdre.

Un jour, en entrant chez sa mère :

— Je viens, dit-il, de m’amuser beaucoup en mon-